Les participants des grands rassemblements anticapitalistes connaissent bien le principe des Legal Team. En cas de grabuge avec la police, ce sont eux qui veillent au grain et tentent de limiter les dégâts légaux. Sans légitimer la violence des manifestants ni la dénoncer, ils cherchent juste à faire respecter les droits de chacun, en association avec des équipes d’avocats. Ils soutiennent ainsi tous ceux qui sont incarcérés. Et abattent bénévolement un travail énorme, comme à Strasbourg ce week-end. Entretien avec Alain Charlemoine, militant berlinois et représentant de la Legal Team du contre-sommet de l’Otan.
Quel bilan tires-tu de ce contre-sommet ?
Le bilan n’est pas très positif. Si certaines choses se sont très bien passées, l’organisation du camp par exemple, il y a beaucoup d’éléments témoignant d’un manque évident de coordination et de dialogue. Dans le cortège du samedi, il y avait plusieurs organisations qui souhaitaient tirer la couverture à elles. Le NPA ou la CGT cherchaient ainsi à imposer leur manière de voir. Et quand il s’est agi de tenter une action pour libérer les manifestants qui étaient pris au piège par les forces de l’ordre, il n’y avait plus personne.
Je ne connais pas beaucoup ce nouveau parti, le NPA, mais j’ai eu l’impression qu’ils étaient dans une logique de pouvoir, d’affichage. Pour eux, il s’agissait de se positionner politiquement, ça empêche toute action solidaire.
En Allemagne, les choses se passent différemment ?
Oui. Il existe une solidarité entre tous les participants, ce qui n’est généralement pas le cas en France. Lors des événements de Rostock [1], les pacifistes faisaient barrage quand les flics s’attaquaient aux activistes anticapitalistes. Normalement, on trouve facilement un terrain d’entente ; après tout, on a le même ennemi, même si les moyens divergent. Ici, les pacifistes se contentent de dénoncer les plus radicaux, il n’y a aucune forme d’unité. Et puis, en Allemagne, les choses se discutent davantage, on cherche à faire avancer les choses sans rester dans des querelles stériles.
Il y aurait un problème en France au niveau de l’organisation de la contestation ?
Ce n’est pas toujours le cas. A Vichy [2], par exemple, ça s’est très bien passé. Mais c’est vrai que souvent, vous semblez avoir du mal à dépasser les querelles partisanes. Vous fonctionnez de manière trop centralisée, trop directive. Il ne devrait y avoir qu’un seul mot d’ordre, « Anti-OTAN ! », et c’est d’autres considérations qui prennent le dessus.
Qu’est ce qui a joué négativement à Strasbourg ?
D’abord, il n’aurait jamais fallu accepter l’itinéraire imposé par les autorités, il ne rimait à rien. Défiler à l’écart de tout, c’est contre-productif. Il fallait lutter contre ça. A Rostock ou à Annemasse [3], les autorités avaient proposé un itinéraire du même genre que nous avions refusé en bloc. Si vraiment il y a une volonté de faire changer ce genre de choses, les autorités ne peuvent que s’incliner. Mais à Strasbourg il n’y avait pas de front uni.
Dans ces conditions, il a été facile d’embarquer ceux qui étaient pris dans la souricière. D’autant qu’on le sait très bien : en face, ils veulent montrer leur grande fermeté. Le manque d’organisation leur facilite le travail.
Tu es un des organisateurs de la Legal Team, quel est votre rôle ?
L’idée, c’est d’empêcher les gens d’être jugés expéditivement. On a une équipe d’avocats prête à réagir, tous les manifestants connaissent le numéro à appeler si jamais ils ont des embrouilles avec la police. Ensuite, s’ils sont condamnés, on essaye de maintenir une mobilisation, pour qu’ils ne soient pas oubliés.
On est un peu déçus par le manque d’implication de nos avocats pour le moment, ils sont très loin de la virulence des avocats allemands dans ce genre de situation, ils sont un peu mous. On aimerait qu’ils cherchent plus à devancer les autorités plutôt qu’attendre qu’elles leur fassent signe.
Mais notre rôle ne se cantonne pas seulement au contre-sommet de l’OTAN et aux activistes. A Berlin, on s’adresse à tout le monde, on cherche à aider les SDF, les sans-papiers, on ne veut pas se cantonner aux événements politiques. Il s’agit d’offrir une opportunité de se défendre à ceux qui sont démunis face à la justice.
Quelle est la situation à Strasbourg pour le moment ?
On a 31 personnes en garde à vue dont 8 vont passer en comparution immédiate demain matin [4]. On sait que les flics ont dressé deux barrages filtrants à la sortie du camp et qu’il va y avoir du boulot. D’ailleurs, une des organisatrices de la Legal Team, Nadia, vient d’être embarquée à la sortie du camp.
Au niveau des conditions de garde à vue, on est un peu dans le brouillard. On ne sait pas si les gens sont biens traités, si il y a des blessés. Et on n’a pas le droit de leur rendre visite. Du coup, on doit faire confiance au discours officiel, autant dire qu’on est très méfiant.
Comment allez-vous gérer les choses dans les jours qui suivent ?
Personnellement, je vais rester un peu à Strasbourg, il y a plein de choses à faire pour assister ceux qui sont pris. Et puis, le problème est toujours le même : ceux qui sont en prison sont rapidement oubliés une fois le sommet passé. On va essayer de faire en sorte que ça ne se passe pas comme ça. C’est pour ça qu’on a besoin de tous les relais possibles, qu’on accepte de parler à des médias qui ne nous plaisent pas, on a besoin d’eux pour faire bouger les choses. On préfère s’adresser à des gens comme vous, mais on a aussi besoin des médias de masse, surtout quand ça se passe mal. D’ailleurs, je ne suis pas d’accord avec la position de certains radicaux qui cherchent à évacuer les médias quand la situation est violente : on a justement besoin d’eux pour éviter les débordements policiers. Quand une caméra est présente, le comportement des flics change...
Personnellement comment en es-tu arrivé à t’impliquer à ce point ?
C’est simple : j’ai assisté à la répression ultra violente du sommet de Gênes. Après avoir vécu ça, c’est dur de ne pas s’impliquer...
Source: http://www.article11.info/spip/spip.php?article355