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2007-07-07

G8 vs G faim. La fin est proche. Ce jour, c'est demain.

Privé de liberté, le temps s’écoule différemment. On ne sait pas vraiment l’heure qu’il est. On attend. S’ensuivent des phases d’agitations, puis le calme revient. Souvent après les repas, chacun s’allonge et se tient tranquille. Puis l’ennui, la réflexion. On commence aussi à sentir la privation de la liberté, et vient la colère. On pense à s’enfuir. On pense que c’est injuste. A ce moment là, j’avais aussi l’impression d’étouffer. Puis on regarde autour de soi : la solidarité existe entre les détenus, on te demande si tout va bien, et le moral revient. Alors, on s’extasie devant la créativité des uns et des autres. Dans la cage de droite, 3 hamacs construits avec les couvertures en polyester qui nous ont été distribuées à l’approche de la nuit. A ma gauche, un match de volley s’improvise. Filet tissé de sacs plastiques contenant les repas, ballon de sacs plastiques enroulés et serrés les uns aux autres. A genou, ça passe le temps, et ça rigole. Parfois aussi, quelques moments de tensions : un mec a fait une connerie, tape une gueulante, trois ou quatre gardiens se montrent un peu agressifs, et immédiatement, ça gronde dans les cellules. Et ça se calme. On repense à la raison pour laquelle on est là, et on étudie à nouveau les possibilités de fuite, assez réduites malheureusement…

Vers 20h, commencent les libérations, accompagnés de cris et d’applaudissements « Liberta, liberta, liberta ! ». De ma cellule, tout le monde sort. Nous ne sommes plus que 3. Puis 2. Puis seul. Il est minuit je crois. Je passe aux toilettes. Envie de me barrer de là. Je vois les autres, allongés, couvertures sur le dos, ils dorment à moitié. Jeanne a été libérée. Soulagement pour elle. Jérôme lui a été placé tout seul. Je retourne dans ma cage, tente un hamac, ça marche pas, je suis trop lourd. Je me couche au sol. Fini par m’endormir : la fatigue est là, et que faire d’autres?

Brouillard. Coups de pied. J’ouvre l’oeil. Des mots en allemand. Des bottes. Deux soldats. Deux policiers, en fait. Je sors de mon rêve. Ils sont bien là. Je me lève. Je comprends que je dois les suivre. Les autres sont dehors. J’émerge peu à peu et déjà nous sommes amenés quelque part. J’essaye d’en savoir plus avec les autres. Apparemment, on va être jugés. On nous accuse les 5 d’avoir montés des barricades sur les routes. (en scotch?).

Nous sommes 5. Johnatan, Laurent, Sylvain, Gert et moi. On sort du « chenil ». Des escaliers. Je commence à me réveiller un peu. Un long couloir. Des policiers partout nous entourent. D’autres personnes sont là. Des détenus, des assistantes, les juges aussi apparemment passent dans ce couloir. On nous laisse debout à attendre. Rien bu. Pas d’explications. Pas vu d’avocats personnellement. Les autres si apparemment, enfin pas tous. Je commence à prendre l’ampleur de la situation, imaginer un plus long séjour dans cette taule, ou dans une autre. Envie de pisser. Mais c’est quoi ce bordel ?

Les deux premiers s’assoient par terre. Je refuse. Je reste debout les bras croisés. Le médiateur de la police qui nous accompagne veut me parler de sa chanson préférée du groupe français Tryo. Je l’envoie bouler poliment : « ça fait douzes heures que je suis là, je sais toujours pas pourquoi, et jusqu’à preuve du contraire, il est de l’autre côté, de celui de la police, alors il garde ses distances, ok? » ça jette un grand froid dans le couloir. Tout le monde regarde par terre. On m’amène une chaise. Aux autres aussi.

Tout le monde est fatigué. On nous présente alors dans le couloir notre avocat(e). Elle va s’occuper de nous. On doit signer un papier la reconnaissant. Elle a pas eu le temps de me parler, mais les autres lui ont parlé de l’affaire. ça suffira pour moi. Je lui donne quelques éléments en plus qui peuvent jouer en notre faveur. Elle nous annonce direct que tout ce qui se passe ici est un grand n’importe quoi, que les juges sont des imbéciles, qu’elle est scandalisée. Elle s’excuse auprès de nous de cette situation et dit qu’elle va faire tout son possible pour nous sortir rapidement en invoquant les vices dans la procédure. Je vous passe les détails, mais les uns après les autres, ils passent devant le juge, et la sentence tombe. Condamnée. On les garde quelques jours. Dans le couloir, moi je fais le fier, je commence à parler de résistance, de refuser, je fais mon malin. Il reste Gert, Martin et Moi. L’interprète qui traduit le français est épuisé, elle bosse depuis 3 jours presque non stop, comme les avocats d’ailleurs. Elle fait une pause. Martin reçoit sa décision en allemand, langue qu’il ne comprend pas du tout, comme moi.

L’avocat de Gert a une idée : si l’interprète s’en va, et qu’on ne la remplace pas, nous ne pouvons pas passer devant le juge en théorie. On convainc l’interprète de se casser sans trop de difficultés. 90% de chance qu’on soit libre rapidement. Laurent devra rester jusqu’au samedi minuit. Il est dégouté. Martin sortira samedi matin à 10h. Il manque d’envoyer valser les sièges dans le couloir. C’est à ce moment que je reprends confiance et pense que je vais sortir. Je provoque le juge, les policiers. Gert me supplie de me calmer. J’exige d’aller aux toilettes. Une personne du tribunal refuse que j’utilise les toilettes. Je lui crie qu’on a certainement pas la même chose entre les jambes d’une manière vulgaire et en anglais s’il vous plait ! Je commence à faire semblant de pisser entre le mur et un policier qui me garde, à siffloter des chants révolutionnaires.

On finit par m’accompagner. Aux toilettes. Pas à chanter. J’essaye de convaincre le flic qui me surveille de résister, de ne pas accepter ça. De venir de notre côté, d’arrêter de servir les puissants. Je lui parle de son père qui n’aura pas de retraite, de son fils qui ne trouvera pas de job et finira dans la police. Il dit qu’il ne peut pas. Je lis dans ses yeux la résignation et la tristesse. Je prends pitié de lui et lui fout la paix.

En arrivant devant les toilettes, 4 policiers sont alignés. J’hésite à lancer un « Zieg hei, zieg hei » moqueur, mais me retiens. Pas la peine d’être con comme eux. Sur le chemin du retour, je parle à mon flic de la guerre partout, des mômes qui meurent de faim, de notre arrestation arbitraire, des mensonges de ses collègues, de tout ce cirque, et finit par lui dire qu’il doit comprendre pourquoi ils se ramassent des caillasses et qu’il ne devra pas s’étonner quand les plus fous d’entre nous commencerons à leur tirer dessus au fusil. Il se tait. La mine serrée.

Encore une heure d’attente dans ce couloir. Je suis chaud bouillant. Envie de tout péter. L’avocat s’amène. « Tu es libre. ». Je ne suis pas content. Deux minutes s’écoulent. Gert est libre. Les potes sont en taule pour 3 jours, et nous sommes libres. C’est dégueulasse, rien ne le justifie. J’ai encore plus la rage. Je récupère mon sac et ma veste. Je porte ma capuche et mes lunettes. Et provoque tout le monde dans cette prison de merde. On s’étonne sur mon passage. Donnez moi mes papiers, mon téléphone, mon vélo et je me casse. Et non. Panne informatique. Windows de merde. On va encore passer deux heures à attendre, à gueuler, à obtenir un café froid infect, que je manque de leur cracher à la gueule.

Je montre de la rage pendant ces deux heures, mais au fond de moi, je me sens bien, je le prends cool. J’ai juste envie de leur faire sentir leur nullité, leur connerie !

Finalement, ces cons gardent mon cheich, offert par mon pote le « général » Bouba de Gao au Mali, qui était dans mon sac. J’essaye de parlementer. Rien à faire. Ils le gardent, et ils savent pas où est mon vélo. On peut encore attendre 10 minutes pour appeler quelqu’un qui sera peut-être où ils sont. Ras le cul. On se casse. Ouvrez cette porte. Chao. Bye. A jamais. Il fait beau. Le soleil monte dans le ciel.

Libre. Avec Gert. Stressé le Gert. Il veut pas retourner dans cette cage. Il a peur de se faire arrêter de nouveau.

Dehors, deux amis. Nico et Anne. Ils attendent depuis des heures. Super plaisir. Un café, des biscuits, un peu de chaleur humaine. Un convoi de détenus libérés part dans la minute direction le camp de Reddelich. Je me joins à eux. Des blocages partout sur les routes. Le trajet qui se fait en quelques dix minutes, se fera en une heure et quelques… A la radio, on se réjouit d’entendre que les blocages sont un succès. Sylvain a été libéré seulement quelques heures avant. La mobilisation commence tout juste pour sortir les autres de là. On fonce sur le net, et au boulot ! La suite, vous la connaissez plus ou moins…

Nombreux sont ceux qui s’inquiète : je vous rassure, je vais 100% très bien ! Je suis en pleine forme. La prison en Allemagne, ce n’est pas le Togo !

(Vendredi soir 19h30. Martin et John viennent d’arriver au camp. Jérôme devrait être libéré à 22h ce soir.)

Epilogue :

On pourrait retenir de tout ça notre petite aventure. Scandaleuse, mais que je tourne à la comédie dérisoire en comparaison des injustices que connaît quotidiennement une grande partie de la population mondiale. Parce qu’on tolère des politiques dégueulasses, des politiques au service du fric et qui méprisent les hommes. Ces politiques se décident en haut-lieu. Le G8 est un de ces hauts-lieux où se décident ces politiques. C’est pourquoi nous le combattons et le déclarons illégitime. Depuis des jours, nous avons lu la peur, le doute dans les yeux de nombreux interlocuteurs. Les choses changent. La colère grandit, partout, et le rapport de force pourrait bien tourner un jour en notre faveur. Le G8 n’a pas été bloqué. Mais la police a reculé devant 10 000 manifestants pacifiques, le jour où nous avons été arrêtés, faisant du vélo. Leur barrière a 15 millions d’euros a cédé par endroit sur plusieurs mètres. Ils ont été obligés de déplacer beaucoup des délégués par la mer, et de renverser les zodiacs de Greenpeace. Un jour viendra, où ces présidents ne trouveront plus un coin de la terre ou se réunir sans se voir opposer une résistance massive, et où ils finiront par s’envoler en hélicoptère du batiment assiégé par des centaines de milliers de personnes qu’aucune armée n’aura pu arrêter. Ce jour, c’est demain.

En attendant, on continue à vivre autrement au jour le jour, et c’est déjà ça de gagner…

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